mercredi 24 novembre 2010

Runaway, de Kanye West

Au début du mois d’octobre, Kanye West présentait son super clip « Runaway » au monde entier, objet promotionnel de l’album du même titre. Il est, depuis quelques semaines, accessible dans sa totalité sur le net… Si vous l’avez manqué, fuyez, il est encore temps !

Le dernier à avoir fait sensation avec un clip dépassant largement les trente minutes se nommait Michael Jackson (Ghosts, 39'31 minutes, 1997). Kanye n’a pas eu peur de la comparaison, pour entrer dans la cour des grands, il n’y pas mieux que de suivre la voie tracée par eux. Ça se tient. Mais Kanye n’a malheureusement pas su s’en tenir là et a voulu surpasser le maître, en prenant lui-même la caméra, chose que, pour « Ghosts », le roi de la pop avait confiée au spécialiste des effets spéciaux, Stan Winston (Jurassic Park). A l’inverse, le rappeur ambitieux a voulu tout faire tout seul, ou presque, et, à l’expert du clip de Rap et R’n’B, Hype Williams, il n’a laissé que l’écriture du scenario.



En bref, le chevalier Kanye sur sa monture rutilante, roule à travers bois, sous la lumière d’un ciel de feu, quand soudain, ce qui ressemblait à une météorite dans sa chute, atterrit dans une explosion flamboyante, pile au pied de son bolide qui freine super bien. Au milieu des décombres, se trouve une femme-phoenix, loin d’être en cendre mais inconsciente, qu’il emporte chez lui. Une fois l’être à plume réveillé, Maître Kanye lui explique les choses de la vie : “First rule in this world baby, don’t pay attention to anything you see in the news”. Ça, c’est fait. Du coup, après lui avoir fait un peu remuer des plumes, il l’emmène au dehors pour assister à un défilé et à un feu d’artifices, donnés en l’honneur d’un Michael Jackson gonflable.
Ensuite, telle une pretty woman ailée, la femme-phœnix tente vaguement d’apprendre à se servir d’un verre, se préparant à la scène du banquet qui suit. Dans une ambiance guindée un max, après un ballet pseudo classique, ayant pour tout orchestre, le grand Kanye West au piano, les festivités tourneront court quand, devant la créature, on posera le plat d’une belle dinde pas encore plumée. Entre temps, avec son regard insistant et faussement pensif, l’irréprochable Kanye est apparemment tombé amoureux. Le hic : elle souhaite retourner dans son monde et pour cela, en bon phœnix qui se respecte, elle doit brûler. Kanye s’y oppose naïvement et sans tomber d’accord, ils se réconcilient sur l’oreiller. Il ignore que cela sera la première et dernière fois qu’il pourra batifoler avec la dame-oiseau : au réveil, elle sera partie, en route pour sa résurrection…

Alors, tout cela est bien joli mais, à vrai dire, on s’ennuie ferme ! Dès ses premières minutes, le clip suinte la mégalo et dégouline de clichés. Lumière de coucher de soleil, grosse cylindrée, images au ralenti, cela n’annonçait rien de bon. Pendant ce temps la bande-son défile, fade, sans être mise en scène. Tout ça pour voir quelques daims vaquant à leurs occupations forestières et un type qui roule dans sa caisse, en bref, pas grand-chose, et pendant 2’20 minutes c’est long. La phase suivante ne nous soulage guère : silhouette d’homme héroïque incarnée par Kanye himself, sauvant un être à bout de bras, sur fond d’explosion, le tout au ralenti. Ici, il ne s’agit plus d’avoir mis le pied à l’étrier mais, plutôt, au beau milieu du plat. La représentation des personnages, on le voit plus tard, est effectivement très simpliste : elle, mi femme, mi plumes, se retrouve à terre, à moitié nue, apeurée et filmée de haut, lorsque Kanye, bien sapé, filmé en contre-plongée, semble tout puissant (c’est lui qui a la télécommande !) et se désigne comme son guide dans cette société de faux-semblant où lui seul détient la vérité. Moi Tarzan, toi Jane, quoi.
Au bout de six minutes, l’être pur et innocent a vite fait d’envoyer valser son image de sainte nitouche (faut pas déconner non plus, tous les potes de Kanye vont le voir, ce clip !) et, sous la beat box de Kanye, ébroue une anatomie que l’on a pleinement le loisir d’apprécier vue la longueur des plans serrés. La « be-atch », incontournable personnage du clip de RnB de base est donc bien là, les codes sont respectés.
Quant aux transitions entre les scènes, c’est simple, elles sont soit inexistantes, uniquement matérialisées par des noirs écran, soit incompréhensibles, ce qui, dans ce cas, revient à peu près au même. Résultat : les différentes scènes se suivent, sans s’imbriquer, et lorsque les scènes elles-mêmes n’ont aucun sens, le vide est alors presque palpable.
La scène du feu d’artifices est particulièrement désespérante, tant au niveau du fond que de la forme : utilisation abusive du ralenti, images du feu d’artifices superposées en transparence sur les mines réjouies des protagonistes – le plus souvent en même temps, mélange injustifié d’images symboliques (M.Jackson, Ku Klux Klan). L’explosion au ralenti est en réalité un leitmotiv qui hante le déroulement du clip et qui finit par devenir une métaphore orgasmique. D’une facilité incontestable, cette image est, au final, surtout très lassante.
La seule scène qui pourrait présenter un intérêt est celle du ballet classique donné dans ce qui ressemble davantage à un hangar désaffecté qu’à une salle de bal, le contraste est intrigant. Malheureusement, une bonne idée ne suffit pas, et si la chorégraphie mise en place durant les sept premières minutes est remarquable, pour ce qu’elle mêle de dureté du style classique à la gaucherie de l’être naissant, où le rassemblement de tutus rappelle fortement un nid d’oiseaux, la suite, abandonnant la naïve maladresse au profit de remuements de fesses plus dignes d’un dance-floor que d’un ballet, finit par sombrer dans la trivialité.

En résumé, le méga-clip Runaway, privé de réels dialogues, est doté d’une intrigue à laquelle il n’a pas été attribué une importance suffisante. Racontant à peine une histoire, l’image reste, en effet, un prétexte à la bande-son. Pour reprendre la comparaison avec Michael Jackson, si pour entrer dans la cour des grands, il n’y pas mieux que de suivre la voie tracée par eux, Kanye West pratique ici un dangereux hors-piste !
Avec la réalisation de ce court-métrage, on sent qu’il a souhaité taper plus haut que ses congénères rappeurs. Cependant, il n’a fait que transposer les codes du clip de rap dans un contexte intellectualisant ; de la poudre aux yeux qui lui fait affirmer avoir su rester « créatif malgré la célébrité ».
Pour ma part, j’ai particulièrement apprécié entendre le dernier morceau du clip, en revanche, je ne saurais dire si c’est par goût ou si c’est parce que, tout comme le phoenix, à ce moment-là, je fus libérée des griffes suffisantes de Kanye.
Runaway n’est pas un titre, c’est un avertissement.



lundi 15 novembre 2010

Pony Pony Run Run au Zénith de Paris

Vendredi dernier, on avait hâte de voir ce que pouvait donner le groupe électro français dont le nom courait sur toutes les bouches, depuis leur récompense, aux Victoires de la Musique 2010. Une fois devant, la seule hâte que l’on a éprouvée était celle de partir. Heureusement, les premières parties « The Popopopops » et « Tahiti 80 » nous ont évité un vendredi soir totalement ruiné.

Véritable révélation de la soirée, les Popopopops, bretons anglophone dont la moyenne d’âge dépassait difficilement la vingtaine, ont, avec leur pop électro, débordé d’une énergie à faire pâlir les groupes de BoBo trentenaires qui allaient prendre la suite !
Vingt minutes plus tard, ils laissaient place aux Tahiti 80, les aînés de la soirée, qui électrisent les scènes du monde entier depuis le succès de leur album Fosbury, en 2005. Beaux joueurs, ils sont venus faire la première partie des jeunots Pony Pony Run Run. Toujours aussi frais pourtant, ils en ont profité pour nous jouer trois nouveaux morceaux présents sur le mini-album qu’ils viennent de sortir, « Solitary Bizness », ils ont bien fait. Le live leur donne une sensualité un peu sombre, moins présente sur la version studio. Après une bonne demi-heure d’un jeu emballé et spontané, ils quittent la scène en n’oubliant pas de se présenter à la foule adolescente amassée devant eux. Encore une initiative avisée.

Tahiti 80 au Zenith from :Davi:Dine on Vimeo.

Après s’être fait longuement désirer, les Pony Pony Run Run font leur entrée sous un dispositif de lumières sophistiqué et efficace. Mais les premières notes nous indiquent que la qualité du son sera nettement moins réjouissante. La balance est terne, sans subtilité : la voix, les instruments, tout est dans le même panier. On remarque simultanément que le chanteur porte des lunettes de soleil. Non, ce n’est pas comme ça, juste pour le fun, sur le premier morceau : il ne les quittera jamais de tout le concert ni même ne jouera avec. Avait-il besoin d’une barrière entre lui et le public ? Ce mystère n’a aucun charme.
Pour le premier titre du set, un des musiciens du groupe Saycet a été invité à monter sur scène. Ce qui aurait pu être, ici, un moment d’échange entre musiciens d’horizons divers, n’a servi à rien. Au final, Pony Pony Run Run passent pour de grands seigneurs et le guest, présenté seulement à la fin de sa performance, pour le type qui a gagné un concours lui permettant de jouer à leur côté ! En bref, les prémices du concert manquent cruellement de simplicité et contrastent nettement avec le naturel des groupes précédents. Mais le pire était encore à venir…

Le chanteur n’a de cesse de jouer avec le public comme il le ferait avec de stupides marionnettes : levez les mains, faites ci, faites ça, allongez-vous, ce à quoi on entend répondre un « oh les relou ». A la fin le boute-en-train de service nous exhortera alors à danser, mais mieux que la dernière fois où il l’avait déjà demandé… C’est alors clair comme de l’eau de roche : même pour animer un camping, le brave garçon aurait été très mauvais. Apparemment le naïf n’a pas saisi que, lors d’un concert, le public bouge quoi qu’il arrive, du moment qu’il apprécie ce qu’il voit sur scène. S’il ne le fait pas de lui même, le calcul est vite fait.
Clou du spectacle, on aura même droit à une spéciale dédicace, aux ingés, aux amis, à la famille, avec tous les prénoms ; bref, on se serait cru sur le plateau du Juste Prix, manquait plus que Philipe Risoli. Donc, on l’aura compris, pour ce qui est de faire autre chose que de chanter devant un micro, le jeune homme a encore bien du boulot.


Mis à part ces quelques désagréments, la prestation musicale du groupe en général, tendait plutôt vers le… « bof, sans plus ». À aucun moment on ne se sent emporté ailleurs qu’à la reproduction, en live, d’un album qui sonne d’ailleurs bien mieux dans notre salon. En réalité, la tension présente dans les morceaux originaux a totalement disparue, le concert est à plat. À deux moments distincts (début et fin), ils parviennent pourtant à faire ressembler le zénith à un dance-floor. On se demande s’ils n’auraient pas dû suivre cette voie plutôt que d’osciller entre cette euro-dance et une électro-pop plus soft. Cette hésitation a sans doute participé, tout comme leur balance, à rendre l’ensemble parfaitement tiède.

Il y a fort à parier que si tous les (très) jeunes gens qui composaient leur public n’étaient pas venus là, dans la ferme intention de s’amuser quoi qu’il arrive, cela aurait été un véritable carnage… Mais cela, on ne le saura jamais et toujours est-il que, quelle qu’en soit la raison, nombreux étaient ceux qui affichaient un large sourire.
Pour ma part, j’ai failli partir avant le rappel (au bout d’une heure, à peine). C’est l’espoir du mieux qui m’a fait rester. Pas assez convaincu, je partais, boudant le second, comme pas mal de ces visages précédemment souriants, d’ailleurs.
Ceci n’aura pas empêché un de leur titre de se glisser dans ma tête, toute la journée du lendemain… Mais Pony Pony Run Run en live, on ne m’y reprendra pas de sitôt.